Mise en garde : Les informations figurant dans la présente fiche détaillée sont rédigées par un ou plusieurs experts, puis validées par un Comité Scientifique et Médical. Une grande variabilité d’expression pouvant se manifester au sein d’une même maladie lysosomale, les informations présentées peuvent ne pas s’appliquer à un cas particulier. Il est donc important d’analyser ces informations avec son médecin traitant, à la lumière de sa propre situation.
La cystinose est une maladie lysosomale caractérisée par l’accumulation de cystine dans tous les tissus et organes de l’organisme. Trois formes ont été décrites : la forme infantile, la plus grave, débutant par des symptômes rénaux et oculaires, la forme juvénile, d’apparition plus tardive, et la forme adulte purement oculaire. La forme infantile, la plus fréquente, touche un enfant sur 100 à 200 000 (soit environ 5 nouveaux cas par an en France).
La cystine provient de la dégradation des protéines à l’intérieur du lysosome. La cystine libre est normalement transportée hors du lysosome à travers la membrane du lysosome vers le cytosol où elle est réutilisée après réduction en cystéine. Dans la cystinose, le transporteur de cystine lysosomale, la cystinosine, est absente ou déficiente, si bien que la cystine ne peut sortir du lysosome où elle s’accumule. La cystine étant peu soluble, en particulier au pH acide des lysosomes, des cristaux de cystine vont se développer dans les tissus au fur et à mesure que la concentration intra-cellulaire de cystine augmente.
La cystinose est transmise sur le mode autosomique récessif. Elle est liée à des mutations du gène CTNS, situé sur le bras court du chromosome 17. Le gène CTNS contient 12 exons (mais les deux premiers sont non codants) et code pour la cystinosine, une protéine de 367 acides aminés qui contient six domaines transmembranaires, un signal d’adressage au lysosome dans sa partie C-terminale et sept sites potentiels de glycosylation dans sa partie amino-terminale située dans le lysosome.
Des mutations du gène CTNS ont été détectées chez des patients présentant les trois formes de cystinose, prouvant que ces trois formes sont alléliques. La mutation observée le plus fréquemment est une grande délétion de 57 kb, emportant les exons 1 à 10 du gène CTNS. Cette délétion est détectée chez 60 à 70% des enfants originaires d’Europe du Nord, et est due à un effet fondateur survenu en Europe au cours du premier millénaire de notre ère. La fréquence de cette délétion est beaucoup plus faible en Italie du Sud et chez les canadiens français. D’autres mutations avec effet fondateur ont aussi été rapportées, rendant compte de la fréquence plus importante de la cystinose dans certaines populations, au Québec, en Bretagne et dans la population Amish Mennonite dans le sud-est de l’Ontario. Approximativement 80 mutations différentes du gène CTNS ont été décrites, incluant tous les types de mutations. Il a été montré que, alors que les enfants porteurs d’une cystinose infantile avaient deux mutations « sévères », comme par exemple la délétion européenne ou des mutations provoquant l’absence complète de cystinosine, les patients avec une forme moins sévère de cystinose (juvénile ou oculaire) ont au moins une mutation peu sévère (mutation faux sens dans une région fonctionnellement peu importante ou mutation dans un site d’épissage), la deuxième mutation pouvant être aussi bien une mutation peu sévère qu’une mutation sévère.
A - Forme infantile
Symptômes rénaux
L’atteinte rénale est la plus précoce et la plus sévère et débute entre six mois et un an par une tubulopathie proximale, c’est-à-dire par l’altération des capacités de réabsorption du tube proximal rénal. Les symptômes cliniques associent une polyurie, une soif intense, des vomissements et éventuellement des épisodes de déshydratation. Un retard de croissance sévère ou un rachitisme sont souvent présents lors de la découverte de la maladie. Les anomalies biologiques incluent tous les stigmates de la tubulopathie proximale, en particulier, hypophosphatémie, hypocalcémie, acidose tubulaire proximale, hypokaliémie, hypouricémie, glycosurie, protéinurie tubulaire et amino-acidurie.
Sans traitement, l’évolution se fait inéluctablement vers l’apparition d’une insuffisance rénale chronique, aboutissant à l’insuffisance rénale terminale aux alentours de dix ans.
Symptômes extra-rénaux
De nombreuses manifestations extra-rénales surviennent au cours de l’évolution de la maladie, dues à l’accumulation de cystine dans les différents organes.
Le retard de croissance est majeur sans traitement, la taille définitive des adultes étant en moyenne de 136,5 cm chez les hommes et 124 cm chez les filles.
L’atteinte oculaire est précoce, marquée par une photophobie douloureuse et un larmoiement dus à la présence de cristaux de cystine dans la cornée et dans la conjonctive, cristaux aisément détectables par l’examen à la lampe à fente dès l’âge d’un an. L’atteinte rétinienne (zones de dépigmentation irrégulières) est également précoce, et peut aboutir à une baisse de la vision, généralement à partir de l’âge de dix ans.
Une hépatomégalie, due à l’infiltration des cellules de Kupffer par les cristaux de cystine, est retrouvée dans 40% des cas et peut aboutir au développement d’une hypertension portale. L’hypothyroïdie biologique est également commune, même si les symptômes cliniques d’hypothyroïdie sont rarement présents. Elle contribue néanmoins à l’altération de la croissance. Un hypogonadisme est fréquent chez le garçon, lié à l’accumulation de cystine dans les testicules.
Un diabète insulino-dépendant, généralement transitoire survenant après transplantation rénale sous doses élevées de corticoïdes, et une insuffisance pancréatique externe peuvent survenir du fait de la surcharge pancréatique.
L’atteinte musculaire est fréquente. Il s’agit initialement d’une faiblesse musculaire liée à l’hypokaliémie et à un déficit en carnitine, mais les enfants plus âgés peuvent développer une véritable myopathie liée à la surcharge en cystine des cellules musculaires.
L’atteinte du système nerveux central est une complication tardive survenant après l’âge de 20 ans. Elle associe des difficultés à la marche, des troubles de la déglutition et de la parole et une détérioration des fonctions cognitives, mettant à terme en jeu le pronostic vital.
B - Formes juvéniles et adultes
La forme juvénile débute plus tardivement, l’âge de début de la maladie pouvant être très étalé, des débuts de 2 à 26 ans étant rapportés dans la littérature. Les symptômes tubulaires sont très atténués voire absents et la maladie peut se manifester uniquement par une atteinte glomérulaire évoluant très progressivement vers l’insuffisance rénale terminale. Les manifestations extra-rénales sont elles aussi moins sévères et d’apparition beaucoup plus tardives, voire même absentes, en dehors de l’atteinte oculaire. Quant à la forme adulte, elle se traduit par une atteinte oculaire isolée, parfois uniquement découverte par l’examen à la lampe à fente.
Le diagnostic biochimique repose sur le dosage de cystine intra-leucocytaire. Le dosage classique repose sur une technique de radiocompétition (cysitne binding protein assay), mais un dosage par spectrométrie de masse est maintenant disponible. Le taux normal de cystine intraleucocytaire est inférieur à 0,2 nmol ½ cystine/mg de protéine. Il atteint des taux moyens de 8 nmol ½ cystine/mg de protéine en cas de cystinose infantile, et est moins élevé mais toujours supérieur à 2 nmol ½ cystine/mg de protéine dans les autres formes de cystinose.
Le diagnostic moléculaire par recherche de mutations du gène CTNS permet le diagnostic de certitude et est la technique la plus sûre pour le diagnostic prénatal.
Traitement symptomatique
Il vise à corriger les perturbations plasmatiques liées à la tubulopathie proximale. Il comprend des suppléments hydroélectrolytiques (accès libre à l’eau, voire suppléments par voie entérale en cas de maladies intercurrentes avec vomissements, bicarbonate de potassium et/ou de sodium), le traitement du rachitisme par dérivés actifs de la vitamine D et suppléments de phophore et une supplémentation en carnitine. Lorsque la correction de la tubulopathie nécessite des apports hydroélectrolytiques trop importants, un traitement par indométacine, qui réduit le débit de filtration glomérulaire et donc une diminution des fuites urinaires, peut être introduit.
Le traitement de l’insuffisance rénale terminale est identique à celui des autres enfants atteints d’insuffisancerénale, c’est-à-dire épuration extra-rénale (hémodialyse ou dialyse péritonéale) et transplantation rénale. Après transplantation rénale, la cystine ne s’accumule plus dans le rein, mais continue à s’accumuler dans les autres organes, nécessitant la poursuite du traitement spécifique par la cystéamine (cf infra).
Traitement spécifique
Le pronostic de la maladie a été complètement modifié par l’introduction du traitement par la cystéamine, qui permet la diminution des taux de cystine intralysosomale. En effet, la cystéamine, (ou b-mercaptoethylamine) est un aminothiol capable d’entrer dans le lysosome et de réagir avec la cystine pour former un composé cystéamine-cystéine qui présente des analogies de structure avec la lysine et qui est capable de sortir du lysosome, probablement par le transporteur de lysine. Toutefois, pour être efficace, le traitement doit être instauré le plus précocement possible et doit être administré en quatre prises quotidiennes. De plus, il présente de nombreux effets secondaires (odeur nauséabonde, troubles digestifs…) et est peu efficace sur la tubulopathie. Il a en revanche un effet spectaculaire sur la progression de l’insuffisance rénale et probablement sur les complications extra-rénales, même si davantage de recul est nécessaire pour en connaître les effets à long terme. Le traitement doit être débuté très progressivement pour aboutir à des doses de 50 mg/kg/jour. Les doses de cystéamine doivent ajustées sur le taux de cystine intra-leucocytaire qui doit se maintenir en dessous de 1 nmol ½ cystine/mg de protéine.
L’atteinte cornéenne est traitée par collyre à la cystéamine, qui permet, s’il est administré régulièrement (10 à 12 fois par jour), la régression des cristaux de cystine en 6 à 12 mois.